Voici encore quelques décennies la caille était un oiseau extraordinairement abondant sur l’ensemble du territoire français, et connu de l’ensemble de la population, ne serait ce qu’en raison de son chant lancinant. Selon J.Oberthur on entendait ce dernier au début du 20eme siècle jusque sur l’avenue des champs Elysées, en plein coeur de Paris! C’était aussi, bien évidemment, un oiseau très familier pour les paysans. Il est donc peu étonnant que ce dernier ait inspiré certaines traditions populaires.
J’ai rassemblé dans cette rubrique de nombreux textes se rapportant à la caille. On y trouve des dictons, chansons traditionnelles ou paillardes, poèmes, fables, extraits de nouvelles.
Voici une très jolie chanson populaire, intitulée « La caille ». Comme beaucoup de chansons anciennes, cette dernière à fait l’objet de multiples versions. J’ai consigné ci-dessous deux des versions qui me paraissait les plus abouties.
Ô caille, Ô ma caille, où est ton nid? (bis)
Où est ton nid, la belle, où est ton nid, où est ton nid?
Là bas dans la prairie, près du ruisseau (bis)
Près du ruisseau, la belle, près du ruisseau, près du ruisseau.
Ô caille, Ô ma caille, en quoi est-il? (bis)
En quoi est il, la belle, en quoi est-il, en quoi est-il?
En fines roses blanches, en aubépines (bis)
En aubépines, la belle, en aubépines, en aubépines.
Ô caille, Ô ma caille, quy a-t-il dedans? (bis)
Quy a-t-il dedans, la belle, quy a-t-il dedans, quy a-t-il dedans?
Des ufs comme les autres, mais bien luisants (bis)
Mais bien luisants, la belle, mais bien luisants, mais bien luisants.
Ô caille, Ô ma caille, comment sont ils? (bis)
Comment sont ils, la belle, comment sont ils, comment sont ils?
Blancs comme les nuages qui sont au ciel (bis)
Qui sont au ciel, la belle, qui sont au ciel, qui sont au ciel.
Ô caille, Ô ma caille, qui te nourrit? (bis)
Qui te nourrit, la belle, qui te nourrit, qui te nourrit ?
Trois jeunes demoiselles de mon pays (bis)
De mon pays, la belle, de mon pays, de mon pays.
Autre déclinaison de cette même chanson, avec sensiblement la même trame, mais une versification différente « Dis-moi, m’amour la caille »:
Dis-moi, m’amour la caille, où t’as ton nid ? (bis par le choeur)
Où t’as ton nid, m’amour, où t’as ton nid ?
Là-haut sur la montagne, le long d’un ru, (bis par le choeur)
Le long d’un ru, m’amour, le long d’un ru.
Dis-moi, m’amour la caille, de quoi bâti ? (bis par le choeur)
De quoi bâti , m’amour, de quoi bâti ?
De fleur de marjolaine, de romarin, (bis par le choeur)
De romarin, m’amour, de romarin.
Dis-moi, m’amour la caille, de quoi dedans ? (bis par le choeur)
De quoi dedans , m’amour, de quoi dedans ?
Trois oeufs comme les autres, mais plus jolis, (bis par le choeur)
Mais plus jolis, m’amour, mais plus jolis.
Dis-moi, m’amour la caille, sont-ils éclos ? (bis par le choeur)
Sont-ils éclos , m’amour, sont-ils éclos ?
Ecoute dans les bois leur gazouillis, (bis par le choeur)
Leur gazouillis, m’amour, leur gazouillis.
Voici une autre chanson populaire, dont l’auteur est anonyme, intitulée « Au chant de l’alouette ». Malgré son titre, il y est question de caille. A noter qu’il existe plusieurs variantes du texte. j’ai choisi celle qui me paraissait être la plus ancienne.
Voici sous forme de vidéo une autre variante chantée par Suleyka, une chanteuse canadienne.
On m’envoie au champ s’est pour y cueillir (bis)
Je n’ai point cueilli, j’ai cherché des nids
Au champ de l’alouette
Je veille et je dors
J’écoute l’alouette
Et puis je m’endors
Je n’ai point cueilli, j’ai cherché des nids (bis)
J’ai trouvé la caille assise sur son nid
Au champ de l’alouette
Je veille et je dors
J’écoute l’alouette
Et puis je m’endors
J’ai trouvé la caille assise sur son nid (bis)
J’lui marché sur l’aile et la lui rompit
Au champ de l’alouette
Je veille et je dors
J’écoute l’alouette
Et puis je m’endors
J’lui marché sur l’aile et la lui rompit (bis)
Elle m’a dit : Pucelle retire-toi d’ici
Au champ de l’alouette
Je veille et je dors
J’écoute l’alouette
Et puis je m’endors
Elle m’a dit : Pucelle retire-toi d’ici (bis)
Je n’suis pas pucelle que j’lui répondis
Au champ de l’alouette (ter)
Je veille et je dors
J’écoute l’alouette
Et puis je m’endors
On retrouve la caille jusque dans certains chants scolaires. Le texte de cette chanson montre la dimension symbolique de l’oiseau dans les campagnes. Le chant des cailles scande le travail des paysans à l’époque des moissons, dont elle est en quelque sorte le symbole. Il faut en effet s’imaginer les oiseaux s’envolant par dizaines sous les pas des faucheurs.
Le texte de la chanson semble basé, comme souvent, sur le caractère répétitif du chant de la caille, et les différentes interprétations qui en sont faites dans les tradition populaires.
Dès l’aurore renaissante, dans ses accents joyeux,
la caille vigilante s’étire vers les cieux;
Ecoutez, elle dit:
Sors du lit, sors du lit, sors du lit, sors du lit!
La caille prévoyante appelle vers midi,
Dans la plaine brulante, le faucheur endormi:
Allons vite au travail, au travail, au travail, au travail, au travail!
Quand la brise légère se fait sentir le soir,
la caille messagère semble dire bonsoir,
en chantant elle dit:
Bonne nuit, bonne nuit, bonne nuit, bonne nuit!
chanson anonyme, Extraite du livret « Douze chants scolaires », Par A. Drouin, Editions Alphonse leduc (début 20eme siècle)
Voici un autre chanson populaire, dont le début au moins semble apparenté à une autre chanson traditionnelle bien connue (« au jardin de mon père »): Elle s’intitule « La Caille » (Chant populaire de Provence)
Au jardin de mon père, l’y a un pin (bis)
l’y a un pin, la dé rin, l’y a un pin
Tous les oiseaux qui chantent y font leur nid (bis)
y font leur nid, la dé r, et la perdrix
Hormis la belle caille et la perdrix (bis)
Et la perdrix, la dé ri, et la perdrix
Oh! Caille, oh! Belle caille Ou est ton nid (bis)
Ou est ton nid, la dé-ri, ou est ton nid?
Pas en haute montagne, dedans le pré (bis)
Ou est ton nid, la dé ré, dedans le pré.
Je prends mon arbalète et vais tirer (bis)
Et vais tirer, la dé ré, et vais tirer
J’ai tiré sur la caille je l’ai blessée (bis)
Je l’ai blessée, la dé ré, je l’ai blessée
O caille, pauvre caille, bien mal t’ai fait (bis)
Bien mal t’ai fait, la dé ré, bien mal t’ai fait
Si je pass’dans la ville on m pendra (bis)
On me pendra, la dé ra, on me pendra
Voici un extrait d’une nouvelle, « La caille », écrite par l’écrivain et membre de l’académie française, Maurice Genevoix (1890-1980) dans son livre « Bestiaire sans oubli » (publié en 1971):
« Ma première expérience du feu ne m’avait pas beaucoup mûri. C’eût été prématuré: j’avais douze ans, ou guère davantage. J’accompagnais «les chasseurs de Nevers», mon père, mon oncle, un vieil ami qui s’appelait Dargy et leur garde Philibert. Ils louaient, à trois, près de Châteauneuf, une petite chasse de plaine et de bois qui leur faisait de beaux dimanches. Nevers, c’était une ferme au pignon blanc que l’on reconnaissait de loin et qui donnait son nom au finage.
Je trottinais dans leurs foulées, fier au-delà de toute pudeur lorsque le poids d’un grand bouquin faisait peser à mon épaule la courroie de la gibecière. Une caille rappela, fut arrêtée par la chienne de Dargy. Alors presque septuagénaire, incroyablement résistant (il devait, deux ou trois ans plus tard, pédaler à mon côté de Châteauneuf à Joigny, une bonne centaine de kilomètres sur des vélos qui valaient moins qu’un clou), il était myope à ne pas voir le guidon de son fusil à broche.
– A vous, Dargy ! cria mon oncle.
Et mon père aussitôt
– Attention !
La caille s’était levée, de ce vol rasant qu’elles ont, à la hauteur d’une poitrine d’homme. Comme Dargy marchait à l’aile gauche elle avait, d’un crochet rapide, passé la ligne des fusils. Et elle filait maintenant, droit et raide, vers les arrières.
Dargy, à l’appel de mon oncle, s’était retourné brusquement, crosse à l’épaule, fauchant de son double canon. Vit-il la caille ? Entendit-il mon père ? Me vit-il ? Son coup de feu était parti. Je perçus, presque sous mon nez, un petit cliquetis de métal, sentis à l’épaule gauche une menue chiquenaude très sèche.
– Tu n’as rien ?
Les chasseurs accouraient vers moi, Dargy compris, le lorgnon sautillant au bout de son cordonnet. Je n’avais rien, qu’un grain de plomb qui roulait sous la peau. Quelques autres s’étaient aplatis sur le fer de ma bretelle gauche, solides bretelles de ce temps-là, larges d’une demi-paume, bardées de fers aussi robustes que des manoeuvres de marine. La petite caille était loin à présent, le bon Dargy l’avait ratée.
J’en ai gardé une tendresse pour ses soeurs, miniatures de perdrix plus rondes, plus chaudes, couveuses blotties dans un creux de glèbe à la mesure d’une main d’homme. Blondes d’une blondeur d’épis et grivelées de macules, du gris pâle au brun profond, qui les verrait au coeur du champ de blé, entre les hautes pailles balancées, sous leurs ombres aux bougeantes zébrures ? Mais il y a leur collier noir, et leur oeil plus noir encore que le soleil décèle et fait briller.
J’ai vu luire celui des perdrix, surprises la nuit au revers d’un sillon par la lanterne du braconnier. J’ai vu s’y refléter le papillon d’acétylène, une petite étincelle d’angoisse que leurs yeux renvoyaient aux miens, et qui venait me traverser de leur sauvagerie terrifiée. Mais comment dire, au-delà de cette peur, la prière et la douce confiance dont s’illumine ce petit oeil rond, cette goutte d’humeur vitrée enchâssée dans la tête d’une caille ? « Tu peux me livrer à ton chien, tu peux me tuer. Mais je vois que tu me regardes, et je sais que ce n’est plus possible. »
Au Maroc, au bord d’un oued, j’ai revu la caille de Nevers. C’était entre Fès et Larrache. Une eau fraîche coulait dans l’oued. L’herbe était verte sur ses rives. Des hérons pique-boeufs tournaient autour d’un vieil arbre, et s’y posaient, en floraison éblouissante. La caille rappelait, m’attirait vers elle. « Paye-tes-dettes ! Paye-tes-dettes ! » Mais lesquelles ? Je la vis, toute ronde, à mes pieds. En souvenir d’une ferme à pignon blanc, elle m’a conté alors l’histoire du Pâtre aux oiseaux blancs’. Je n’avais plus qu’à l’écouter, à écrire sous sa dictée : c’était payer une dette d’enfance.
Dans un léger bruit d’ailes, elle s’envola, du vol rasant que je lui connaissais, se blottit contre une motte fauve, reprit à petite voix sa chanson au soleil. Quelques dizaines de mètres, à peine soulevée de terre… Et elle avait traversé tant de lieues, se fiant à quels fleuves aériens, guidée par quel instinct merveilleux ? Je la retrouverais l’été, chantant son gentil margottage dans un champ de blé de chez nous, à Nevers, près de la ferme dont les avant-toits abritent les nids des hirondelles.
Migrations, éternels voyages, battements d’un pouls mystérieux qui rythme le décours des années ; chemins de l’eau hantés d’immenses troupeaux marins, remontée des saumons d’hiver, la vie allait, venait, suivait ses voies sur la terre ronde, elle-même par quelle giration emportée ? Des particules tournoyant dans l’atome aux caravaniers du mois d’août, du chant d’une caille à la musique des sphères, le rêve pouvait appareiller. Vers quels abîmes inaccessibles ? Les maîtres mots, les sais-tu, petite caille ? Mais les savent-ils mieux que toi, ceux qui scrutent et mesurent, l’oeil à leur microscope électronique ? Et qui s’approchera le plus près, de celui qui dissèque et raisonne, ou de celui qui saura le mieux lire les secrets de ta prunelle ronde, si ardemment et tendrement vivante, petite caille? »
Voici une chanson paillarde traditionnelle: le sens retenu ici pour le mot caille est celui d’une jolie fille peu farouche…
La caille
1. Voilà ma journée fait’, tidéra
Faut m’aller promener;
En mon chemin rencontre
Une fille à mon gré (bis)
2. La pris par sa main blanch’, tidéra
Au bois je l’ai menée;
Quand ell’ fut dans le bois,
Ell’ s’est mise à pleurer (bis)
3. « Qu’avez-vous donc la bell’, tidéra
Qu’avez-vous à pleurer? »
« Je pleur’ que je suis jeune,
Et je suis en danger » (bis)
4. La pris par sa main blanch’, tidéra
Hors du bois l’ai menée,
Quand ell’ fut hors du bois
Ell’ s’est mise à chanter. (bis)
5. « Qu’avez-vous donc la bell’, tidéra
Qu’avez-vous à chanter? »
« Je chant’ le grand lourdeau
Qu’a pas su m’embrasser. » (bis)
6. « Retournons-y la bell’, tidéra
Au bois vous baiserai »
« Quand tu tenais la caille,
Il fallait la plumer! » (bis) »
On peut remarquer que cette chanson a été déclinée en de multiples versions: dans certaines d’entre elles, le mot caille à été remplacé par poule ou perdrix.
Beaucoup de dictons concernent les animaux, et particulièrement les oiseaux migrateurs (coucou, hirondelle, etc) dont l’arrivée et le départ constituent des points de repères. La caille de par son abondance était un oiseau très familier. On peut les imaginer s’envolant par dizaines par les pieds des paysans en train de moissonner… Cet oiseau à fait l’objet de plusieurs dictons que j’ai rassemblés ici:
« A la saint Georges (23 avril), la caille dans l’orge »
« En avril tout oiseau fait son nid, sauf la caille et la perdrix. »
« Au quinze août, le coucou perd son chant ; c’est la caille qui le reprend. »
« A la Saint Barthélemy (24 août), la caille fait son cri. »
« Quand la caille chante, c’est signe de pluie » (dicton Wallon)
« Année de paille, année de caille »
« Plus la caille carcaille, plus chère est la semaille. »
« Caille carcaille: semailles ne vaillent » Un dernier dicton est cette fois ci consacré à son tir: « Haut la caille ou rien à faire; sous le ventre c’est la terre. »
Voici une très belle gravure de Hector Giacomelli intitulée: « L’Automne- Le départ des cailles » extraite du journal « Le Monde Illustré » (1870). Ce dessin illustre la croyance erronée, encore en vigueur à la fin du 19eme siècle, selon laquelle les cailles effectuent une partie de leur migration par voie terrestre. On peut les voir sur le dessin se faufiler dans un sous bois, guidées par leur chef.
Au dessous de la gravure figure un poème de Adrien DEZAMY:
L’automne est venu: voici le moment
Ou partent les cailles.
On en voit passer tout un régiment
Parmi les broussailles
Trottinant après le chef qui conduit
Leurs tendres nichées,
Elles vont sous bois… par le moindre bruit
Tout effarouchées.
L’oreille aux aguets, restez en éveil;
Le Chasseur est proche:
Mieux vaut se rôtir aux feux du soleil
Qu’au feu de la broche…
Frileux oiselets, au ventre arrondi,
octobre s’avance!
Par-delà des mers, volez au midi,
Fuyez loin de France
Mais sitôt qu’Avril fera dans nos champs
Germer les semailles,
Revenez-nous vite, avec vos doux chants,
Mesdames les cailles!
Voici un poême de André Theuriet, auteur dramatique, romancier et membre de l’académie française (1833-1907).
Ce dernier a été publié dans le journal « L’illustration », en date du 04/10/1879.
« La caille »
La moisson blonde au vent frissonne;
Les cailles sous l’herbe ont filé,
Et leur appel d’amour résonne
-Caille caillette!- dans le blé.
Quand le ciel pâli se colore,
On l’entend monter au matin,
Bref et sonore,
Et le soir on l’entend encore
Dans la paix du jour qui s’éteint.
Chez ces oiseaux, fils de bohême,
Au gré du hasard on s’unit.
On se trouve un beau soir, on s’aime…
-Caille caillette!- Vite un nid!
Un trou dans la paille séchée,
Voilà le lit à ciel ouvert
De l’accouchée;
Les épis mûrs à la nichée
Donnent le vivre et le couvert.
Hors de la coquille natale
Les cailleteaux s’en vont trottants;
Un fusil part Cà ! qu’on détale,
-Caille caillette!- il n’est que temps!
Les chasseurs ont un coeur de roche
Et ne font pas grâce au traînard
Dont le pied cloche
Gare au poêlon, gare à la broche
On l’on rôtit, bardé de lard!
Malgré tout, la caille foisonne.
Et, comme pour narguer la mort,
Son appel amoureux résonne
– Caille caillette!- Au sud, au nord.
Rasant d’une aile vagabonde
Les champs et la mer, tour à tour
Grasse et féconde,
A travers le monde à la ronde
La caille chante et fait l’amour.
André Theuriet
Ci dessous une très belle gravure de Hector Giacomelli, qui encadre le poême.
Voici un texte de l’écrivain français Paul Vialar (1898-1996), extrait de l’ouvrage « Le roman des oiseaux de chasse », publié en 1958. Chasseur passionné, ce dernier est l’auteur de nombreux ouvrages sur ce thème (« De poil et de plume », « La caille », « Lettre aux chasseurs »…)
LA CAILLE
« Ce fut M. de Bolestac qui me fit tirer mon premier coup de fusil. Il était un ami de ma mère et je passais, cette année-là, mes vacances chez lui, dans l’Aveyron, « au château ». J’y arrivai alors qu’il sifflait son chien et partait pour la chasse. Je le suivis et, au moment où nous prenions la route, il appela : « La caille ! » Alors parut une toute petite fille ronde, aux yeux d’eau, qui surgit de derrière le mur de la ferme.
– Tu as encore ton sale fusil, papa, dit-elle. Tu vas encore tuer des bêtes ?
M. de Bolestac rit
– Des cailles, oui. Mais voici Jean, que tu ne connais pas. Sa maman, souffrante à Paris, nous l’envoie pour deux mois. Cela va te faire un compagnon.
La filette me prit la main et M. de Bolestac passa devant nous.
Nous fûmes bientôt devant un champ de blé, appelé le champ d’Alcor, que fauchait une machine attelée d’un cheval. Le travail tirait à sa fin et il ne restait plus qu’une longue bande, très étroite, d’épis. M. de Bolestac dit
– Nous arrivons à temps. Nous allons voir s’envoler les cailles. Elles sont, pour sûr, réfugiées au coeur de ce qui reste.
On n’entendait plus que le bruit de la faucheuse mécanique qui couchait les javelles. Très vite ce qui restait du champ rétrécissait. Et soudain, il y eut un envol d’ailes blondes : une caille. M. de Bolestac, calmement, la laissa s’éloigner, épaula, tira. Le petit oiseau tomba dans le chaume. M. de Bolestac expliquait, tout en le ramassant
– Tu as vu les quatre petits qui partaient de l’autre côté ? Oui. Eh bien ! ils ont profité pour le faire de ce que je m’occupais de leur mère. Elle s’est sacrifiée pour les sauver.
Et Danièle – son père l’avait surnommée « la caille » à cause de son corps potelé – me soufflait, dents serrées
– Papa ne les aura pas. Ils sont partis. Leur mère a donné sa vie pour eux comme une bonne caille qu’elle était.
Elle saisit l’oiseau dans sa main, et je vis comme un rubis minuscule, au coin de l’oeil, fixe maintenant, apparaître une goutte de sang. (…) »
Voici un texte extrait des « Fables » (publié en 1777) de Jean Jacques François Marin Boisard (1744-1833), fabuliste français. Il s’agit d’une jolie fable ayant pour thème les discussions d’une caille et d’une perdrix. La caille essaie de convaincre cette dernière que le seul moyen d’ échapper aux terribles dangers qui l’attendent si elle reste est de migrer avec elle vers d’autres pays.
La caille et la perdrix
La terre avait perdu les riches ornements Dont la blonde Cérès avait paré les champs. Forcés d’abandonner leurs champêtres asiles, Les perdreaux dispersés se croisaient dans les airs ; Mille et mille ennemis divers Poursuivaient à l’envie les pauvres volatiles. Mère perdrix dans ce revers Se promenait toute éplorée, Appelant par ses cris sa famille égarée : Abandonnez ces lieux à leurs maître pervers, Dit une jeune caille, et par delà les mers, Venez ainsi que nous chercher une patrie, Où nous puissions du moins conserver notre vie. L’esclavage et la mort dans ces champs dévastés, Nous poursuivent de tous côtés… Entendez vous gronder le tonnerre de l’homme, Qui retentit sur les coteaux !… Et son lâche ministre, instrument de nos maux, Le chien, le voyez vous qui rampe sur le chaume !… De notre seul refuge on a su nous priver ! Des griffes de l’autour qui pourra nous sauver ? Hélas ! quand nous pourrions échapper à la force, Qui nous garantira d’une perfide amorce ; Et comment nous soustraire à ces lâches filets Dont nous couvrent la nuit nos ennemis secrets ?… Croyez moi, ma voisine, imitons l’hirondelle, Elle vient de quitter ce solide palais Qu’elle avait sur le roc construit à si grand frais, Et pour bâtir au loin fend l’air à tire d’aile. Le Rossignol, jadis la gloire de nos champs, Dont les humains jaloux admiraient les accents, Fut lui-même forcé par leur ingratitude D’abandonner sa solitude : Et nous, vil peuple hélas!sans faire aucun effort, Sur ce chaume rasé nous attendrons la mort !… Quel climat n’a jamais habité la misère, Reprit la tendre casanière ? Croyez que dans tous les pays On trouve des autours ou l’on voit des perdrix ; La trahison, la force ont par toute la terre, Sans doute, à la faiblesse par tous temps fait la guerre. Vous ne connaissez pas encore tous nos maux ; Je prévois de plus grand fléaux. Nous avions jusqu’alors au moins la subsistance ; Les trésors de Cérès des avides humains Remplissent désormais les vastes magasins ; Avec l’hiver hélas ! la famine s’avance ! J’ai déjà vu ces jours d’horreur, Dont l’automne est l’avant coureur !… De neige et de glaçons la terre était couverte ; La nature fermant son sein, Refusait aux oiseaux jusqu’au moindre grain ; Les éléments semblaient conspirer notre perte… Par bonheur, à l’hiver succéda le printemps ; Je vis bientôt renaître (et même dans des champs Stériles jusqu’alors) des moissons abondantes : Je vis croître en tous lieux des forêts verdoyantes, Dont le soleil d’été, propice à nos souhaits, Jaunissait par degrés les fertiles sommets ; Le chaume nous donna le couvert et le vivre ; La chaleur sous nos toits n’osa plus nous poursuivre ; Et le bonheur revint habiter les guérets. On oublia bientôt la peine et la tristesse, Pour se livrer à la tendresse. Je fus mère dix fois (je dois m’en souvenir) Dans ces champs dont en vain vous voulez me bannir. Quel qu’en soit le danger, quelques maux que j’endure, Je ne puis les quitter sans que mon cœur murmure. J’ose encore me flatter que de nouveaux zéphyrs Ramèneront la paix l’amour et les plaisirs ; Et tant que j’en aurais l’espérance chérie, Rien ne peut m’arracher au sein de ma patrie.
Jean Jacques François Marin Boisard, « Fables » (1777)
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