Les cailles vertes
Il y a 30 ans environ, mon père rentra un soir avec une jeune chienne de race Beagle Harrier qu’il venait d’acheter chez un petit éleveur. Elle s’appelait « Dune des cailles vertes ». Étrange nom pour un chien courant! Malgré le fait que plusieurs membres de ma famille soient eux même des chasseurs de cailles, tout le monde se perdit en conjectures quant à l’origine de ce curieux affixe, et l’on finit par conclure à une fantaisie, un peu étrange, de l’éleveur.
Ce n’est que bien des années plus tard que j’ai fini par apprendre, au fil de mes lectures cynégétiques, que la chasse des cailles vertes avait bel et bien existé, et qu’il s’agissait d’une chasse de printemps, autorisée en France jusqu’en 1842. Malgré son interdiction, cette dernière a continué à subsister sous forme de braconnage durant la première moitié du 20eme siècle. Cette chasse, dont il existe de nombreuses variantes, consistait généralement à capturer au moyen de filets (les halliers) et d’appeaux les oiseaux dans les prés et les blés encore verts.
Quant à l’explication précise du terme cailles vertes, je l’ai trouvée dans un ouvrage de Jean Castaing (1). Ce dernier écrit qu’elles étaient surnommées ainsi « parce que ces cailles étaient prises dans les blés verts et aussi parce qu’elles étaient alors très tendres, à peine mures ». Il ajoute que « ces captures ont constitué pendant longtemps une véritable industrie en Egypte, dans les îles méditerranéennes et en Italie même ». On retrouve cette même explication du terme « cailles vertes » chez de nombreux autres auteurs du 18eme et du 19eme siècle (2).
Contre toute attente, cette chasse oubliée subsiste encore de nos jours, de façon légale. Soumise à autorisation préfectorale, elle est devenue le privilège des quelques techniciens du réseau caille qui réalisent un suivi des populations dans quinze départements Français.
Peu de choses ont changé finalement. Le filet est désormais en matière synthétique. Quant à l’appeau (il s’agissait autrefois d’une bourse en cuir, garnie de crin de cheval, et avec un embout formé d’un os de lièvre ou de chat), il est aujourd’hui avantageusement remplacé par un lecteur MP3 muni d’un petit haut parleur qui diffuse le chant d’une femelle. J’ai le plaisir d’être invité régulièrement depuis maintenant plusieurs années par Pascal Fosty, technicien de la fédération départementale des chasseurs de L’Ariège, et bagueur agrée. Il réalise un suivi des populations de cailles en Ariège depuis une quinzaine d’années.
Nous nous donnons rendez vous au lever du jour, à proximité d’une aire de covoiturage. Quelques instants après, nous voici déjà en route à bord de sa fourgonnette. Premier arrêt à proximité de l’un des champs de blés figurant sur son circuit hebdomadaire qui compte une dizaine d’arrêts. Nous quittons la petite route communale pour nous engager dans un chemin agricole envahi d’herbes folles situé entre deux champs de blés encore verts. Tandis que nous roulons, les graines et les insectes pleuvent sur le capot. Le signe d’un milieu en bonne santé…
Le véhicule s’immobilise et nous descendons silencieusement, en évitant soigneusement de claquer nos portières. Le moindre bruit pourrait mettre nos oiseaux en alerte… Au loin, nous entendons un mâle chanter spontanément. Pascal sort immédiatement le filet japonais de son véhicule et l’étend soigneusement sur le sommet d’une parcelle de blé. Il met ensuite en route son appeau électronique qu’il tend à bout de bras, diffusant le chant d’une femelle. Quelques minutes passent et déjà plusieurs mâles répondent à l’appel. Certains d’entre eux se rapprochent en voletant, puis s’avancent à travers les blés, en s’interrompant par moment pour chanter. Ces derniers, subjugués par le chant de la femelle, s’approchent jusqu’à se trouver parfois à quelques dizaines de centimètres de nous. Se croyant alors a proximité immédiate de la femelle, ils émettent une sorte de gloussement. C’est le signal… D’un coup, Pascal se lève et frappe brusquement sur les filets. Effrayés, les oiseaux bondissent pour s’envoler et se retrouvent aussitôt emmêlés. Il ne reste plus alors qu’à les extraire délicatement des mailles pour ensuite procéder aux différentes mesures, puis enfin au baguage avant de les relâcher. Pas moins de 22 oiseaux seront entendus dans la matinée et sept d’entre eux seront capturés…
Lors des mesures, j’entends Pascal s’exclamer «Celle-là, elle est presque vert fluo !». Étonné, je m’approche et je constate que le plumage de l’oiseau à une couleur vert olive prononcée. Incrédule, je manipule l’oiseau entre mes mains, je soulève les ailes, examine le ventre, le dos afin de m’assurer qu’il ne s’agit pas juste du frottement dans les herbes qui à coloré superficiellement le plumage. Mais non ! C’est bien l’oiseau dans son intégralité qui est vert ! J’en reste estomaqué…
Ce n’est pas un cas isolé car au cours de la matinée nous capturerons d’autres oiseaux avec cette même coloration verte. Pascal Fosty explique qu’il lui arrive chaque année de capturer des oiseaux avec cette teinte, plus ou moins prononcée, mais que cette année particulièrement, il en capture beaucoup. L’ingestion de certaines graines (hypothétiquement la luzerne?) pourrait être la cause de cette coloration. Ce phénomène n’est pas inhabituel chez les oiseaux, l’exemple le plus célèbre étant le flamand rose qui doit sa couleur à la consommation massive de minuscules crevettes (artemis salina) qu’il filtre dans l’eau des salins de Camargue. Dans le cas de la caille, il est impossible de déterminer de façon précise les raisons de cette coloration, car cela supposerait de sacrifier les oiseaux concernés pour pouvoir les autopsier.
Voici un mystère de plus concernant cet oiseau, et peut être une explication beaucoup plus littérale du terme « cailles vertes ». Je ne serais pas surpris en effet que les anciens aient déjà remarqué ce phénomène, et qu’il puisse être la véritable origine de cette expression.
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