Oiseau d’agrément
Il est amusant de constater que plusieurs auteurs grecs antiques mentionnent le grand intérêt que portaient les athéniens aux cailles domestiques. M.P Loicq-Berger, en annotation de sa traduction de Plutarque, fait état d’une véritable « ortygomanie » (littéralement: «folie des cailles ») qui ressort de plusieurs témoignages littéraires. Des chasseurs de cailles se chargeaient d’approvisionner des éleveurs. Platon y fait allusion (Euthydème, 290-d) : « Certainement, dit-il, et de même les généraux après qu’ils se sont rendus maîtres d’une place ou d’une armée, les abandonnent aux politiques, parce qu’ils ne savent pas comment user de ce qu’ils ont pris; justement comme les chasseurs de cailles abandonnent leur proie à ceux qui les nourrissent. »
Les cailles étaient appréciées, au même titre que les poules, pour leurs œufs. Les oiseaux élevés étaient soit abattus, soit utilisés pour des combats de cailles (également très à la mode). Les cailles faisaient également partie des oiseaux offerts en cadeau par les amants, en gage d’amour comme le montre cet extrait d’Aristophane « Les oiseaux », 707 : « Nombre de beaux garçons, qui avaient juré le contraire, au déclin de leur jeunesse, ont éprouvé notre puissance, et se sont prêtés à des amants qui offraient l’un une caille, l’autre un porphyrion, celui-ci une oie, celui-là un oiseau persique. »
Les cailles étaient des oiseaux familiers qui plaisaient aux femmes, et que l’on s’amusait à nourrir. Dans le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines (Daremberg et Saglio, p713 et 714) les auteurs précisent: « La perdrix et la caille, au contraire, se familiarisaient aisément. (…). Dans les peintures de vases qui représentent des femmes dans leur intérieur, on voit des perdrix ou des cailles familières enfermées dans des cages soit jouant en liberté, comme celle qui est représentée plus loin (fig. 847) perchée sur une chaise ou (fig. 841, ci dessous), picorant sous les tables pendant le repas. »
(ci dessous: objet exposé British muséum Londres représentant un homme avec une caille enfermée dans une cage sur ses genoux, ainsi que fig. 844 )
On peut remarquer une erreur dans l’annotation de cette gravure improprement appelée « Grue et perdrix privée ». L’oiseau représenté debout sur sa chaise n’est pas une perdrix, mais une caille comme le suggèrent les proportions, mais aussi le dessin de l’oiseau qui est assez précis.
Les cailles étaient des oiseaux si familiers que l’on s’amusait parfois à les porter sur soi. Plutarque, dans sa « vie d’Alcibiade » (10-1 à 2) rapporte l’épisode suivant (Alcibiade est un homme d’état et un général Athénien ayant vécu de 450 à 404 av. JC): « Sa première apparition sur la scène publique date, dit-on, d’une donation volontaire impromptue. Alcibiade passait au moment où les Athéniens étaient en train de manifester bruyamment; il en demande la raison. Apprenant qu’il est question de contribution volontaire, il s’approche, fait un don, et le peuple d’applaudir en criant de joie. Alcibiade en oublie la caille qu’il tenait sous son manteau. L’oiseau prend peur, s’enfuit et les Athéniens de hurler plus fort ! Beaucoup se lèvent pour le prendre en chasse ; c’est Antiochos, le pilote, qui l’attrapa et le lui rendit ; aussi devint-il cher entre tous à Alcibiade. »
Platon, suite à cet épisode, raillera Alcibiade à propos de ses amusements frivoles, lui suggérant de prendre pour Modèle Midias, un éleveur de caille renommé de l’époque : (Platon, Alcibiade, 120 b) « Oh ! non, mon cher Alcibiade, les émules dignes de toi, c’est un Midias, si habile à nourrir des cailles, (…) ».
L’élevage des cailles, et leur détention comme oiseau d’agrément s’est perpétué au cours des siècles suivants.
Antoine PESNE (1683-1757), portrait de jeune femme tenant une caille
toile ovale 52×41.5cm
Cette habitude semble s’être largement perpétuée plus tard, au 19eme siècle,. Albert Mérat rédige en 1880 un poème intitulé « La caille » (Cf rubrique Chansons dictons et textes divers) dans lequel il décrit une caille emprisonnée dans une cage, comme oiseau d’agrément. Un autre auteur, Charles Jobey (« La chasse et la table ») fait allusion au fait que certains campagnards exilés à Paris conservent avec eux des cailles domestiques : « Il existe des gens, habitant au cinquième étage, dans les cours ou dans des rues sombres de Paris, et qui ont une caille accrochée à leur fenêtre. Apparemment que la compagnie de ce triste oiseau leur est agréable; que son chant monotone, strident, continuel, a du charme pour leurs oreilles. – Pauvres gens! il leur rappelle, sans doute, les coteaux, les vallons, les prairies, les blés verts du pays qu’ils ont quitté pour venir se corrompre et se perdre dans les vices et les misères de la grande ville. » Dans l’antiquité déjà, les matrones romaines plaçaient dans leur chambre des cages contenant des cailles. Les cailles étaient censées favoriser le sommeil et procurer des rêves agréables. Cette tradition semble avoir traversé le moyen âge, et s’être perpétuée jusqu’à l’époque moderne.
Eugéne Goussard, dans son livre « Souvenirs d’un garde chasse » raconte que les cailles sont des oiseaux dont l’élevage était à la fois facile et agréable: « Ce qui m’ennuyait beaucoup, c’était de les tuer car, au mois de novembre, à chaque chasse, il en fallait une vingtaine pour la cuisine. J’avais le cœur gros. Elles me connaissaient si bien. En arrivant, je les sifflais, elles allaient tranquillement -dans leur parquet et aussitôt que j’ouvrais leurs boîtes, se précipitaient pour aller manger et se pouillaient dans le sable sec. (…). Les cailles, toutes petites, viennent vers vous, tournent leur tête de côté et vous regardent avec leurs jolis yeux intelligents. J’en ai gardé souvent depuis, chez moi, dans une grande cage que j’avais fait faire spécialement pour cet usage (…).»
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