Oiseau d’agrément

11 mars 2007 at 15 h 43 min

Il est amusant de constater que plusieurs auteurs grecs antiques mentionnent le grand intérêt que portaient les athéniens aux cailles domestiques. M.P Loicq-Berger, en annotation de sa traduction de Plutarque, fait état d’une véritable « ortygomanie » (littéralement: «folie des cailles ») qui ressort de plusieurs témoignages littéraires. Des chasseurs de cailles se chargeaient d’approvisionner des éleveurs. Platon y fait allusion (Euthydème, 290-d) : « Certainement, dit-il, et de même les généraux après qu’ils se sont rendus maîtres d’une place ou d’une armée, les abandonnent aux politiques, parce qu’ils ne savent pas comment user de ce qu’ils ont pris; justement comme les chasseurs de cailles abandonnent leur proie à ceux qui les nourrissent. »
Les cailles étaient appréciées, au même titre que les poules, pour leurs œufs. Les oiseaux élevés étaient soit abattus, soit utilisés pour des combats de cailles (également très à la mode). Les cailles faisaient également partie des oiseaux offerts en cadeau par les amants, en gage d’amour comme le montre cet extrait d’Aristophane « Les oiseaux », 707 : « Nombre de beaux garçons, qui avaient juré le contraire, au déclin de leur jeunesse, ont éprouvé notre puissance, et se sont prêtés à des amants qui offraient l’un une caille, l’autre un porphyrion, celui-ci une oie, celui-là un oiseau persique. »
Les cailles étaient des oiseaux familiers qui plaisaient aux femmes, et que l’on s’amusait à nourrir. Dans le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines (Daremberg et Saglio, p713 et 714) les auteurs précisent: « La perdrix et la caille, au contraire, se familiarisaient aisément. (…). Dans les peintures de vases qui représentent des femmes dans leur intérieur, on voit des perdrix ou des cailles familières enfermées dans des cages soit jouant en liberté, comme celle qui est représentée plus loin (fig. 847) perchée sur une chaise ou (fig. 841, ci dessous), picorant sous les tables pendant le repas. »
(ci dessous: objet exposé British muséum Londres représentant un homme avec une caille enfermée dans une cage sur ses genoux, ainsi que fig. 844 )

Oiseau en cage

On peut remarquer une erreur dans l’annotation de cette gravure improprement appelée « Grue et perdrix privée ». L’oiseau représenté debout sur sa chaise n’est pas une perdrix, mais une caille comme le suggèrent les proportions, mais aussi le dessin de l’oiseau qui est assez précis.

Grive et perdrix privée

Chat ,coq , perdrix dans une salle de festin

Les cailles étaient des oiseaux si familiers que l’on s’amusait parfois à les porter sur soi. Plutarque, dans sa « vie d’Alcibiade » (10-1 à 2) rapporte l’épisode suivant (Alcibiade est un homme d’état et un général Athénien ayant vécu de 450 à 404 av. JC): « Sa première apparition sur la scène publique date, dit-on, d’une donation volontaire impromptue. Alcibiade passait au moment où les Athéniens étaient en train de manifester bruyamment; il en demande la raison. Apprenant qu’il est question de contribution volontaire, il s’approche, fait un don, et le peuple d’applaudir en criant de joie. Alcibiade en oublie la caille qu’il tenait sous son manteau. L’oiseau prend peur, s’enfuit et les Athéniens de hurler plus fort ! Beaucoup se lèvent pour le prendre en chasse ; c’est Antiochos, le pilote, qui l’attrapa et le lui rendit ; aussi devint-il cher entre tous à Alcibiade. »
Platon, suite à cet épisode, raillera Alcibiade à propos de ses amusements frivoles, lui suggérant de prendre pour Modèle Midias, un éleveur de caille renommé de l’époque : (Platon, Alcibiade, 120 b) « Oh ! non, mon cher Alcibiade, les émules dignes de toi, c’est un Midias, si habile à nourrir des cailles, (…) ».
L’élevage des cailles, et leur détention comme oiseau d’agrément s’est perpétué au cours des siècles suivants.

 Antoine PESNE,1683 1757, portrait de jeune femme tenant une caille
Antoine PESNE (1683-1757), portrait de jeune femme tenant une caille
toile ovale 52×41.5cm

Cette habitude semble s’être largement perpétuée plus tard, au 19eme siècle,. Albert Mérat rédige en 1880 un poème intitulé « La caille » (Cf rubrique Chansons dictons et textes divers) dans lequel il décrit une caille emprisonnée dans une cage, comme oiseau d’agrément. Un autre auteur, Charles Jobey (« La chasse et la table ») fait allusion au fait que certains campagnards exilés à Paris conservent avec eux des cailles domestiques : « Il existe des gens, habitant au cinquième étage, dans les cours ou dans des rues sombres de Paris, et qui ont une caille accrochée à leur fenêtre. Apparemment que la compagnie de ce triste oiseau leur est agréable; que son chant monotone, strident, continuel, a du charme pour leurs oreilles. – Pauvres gens! il leur rappelle, sans doute, les coteaux, les vallons, les prairies, les blés verts du pays qu’ils ont quitté pour venir se corrompre et se perdre dans les vices et les misères de la grande ville. » Dans l’antiquité déjà, les matrones romaines plaçaient dans leur chambre des cages contenant des cailles. Les cailles étaient censées favoriser le sommeil et procurer des rêves agréables. Cette tradition semble avoir traversé le moyen âge, et s’être perpétuée jusqu’à l’époque moderne.
Eugéne Goussard, dans son livre « Souvenirs d’un garde chasse » raconte que les cailles sont des oiseaux dont l’élevage était à la fois facile et agréable: « Ce qui m’ennuyait beaucoup, c’était de les tuer car, au mois de novembre, à chaque chasse, il en fallait une vingtaine pour la cuisine. J’avais le cœur gros. Elles me connaissaient si bien. En arrivant, je les sifflais, elles allaient tranquillement -dans leur parquet et aussitôt que j’ouvrais leurs boîtes, se précipitaient pour aller manger et se pouillaient dans le sable sec. (…). Les cailles, toutes petites, viennent vers vous, tournent leur tête de côté et vous regardent avec leurs jolis yeux intelligents. J’en ai gardé souvent depuis, chez moi, dans une grande cage que j’avais fait faire spécialement pour cet usage (…).»

Les interprétations populaires du chant de la caille

11 mars 2007 at 15 h 42 min

Le chant de la caille à donné lieu à de multiples interprétations populaires. Il s’agissait d’essayer de retranscrire le cri de l’oiseau par des mots dotés d’une consonance assez semblable, en essayant par la même occasion de lui donner un sens cohérent.
Dans l’ouvrage « Souvenirs du vieux temps. Le Berry croyances et légendes » (édité en 1900) Laisnel de la Salle raconte quelques unes des interprétations populaires du chant de la caille:
« L’esprit éminemment observateur de nos paysans, joint à leur amour du merveilleux, les pousse sans cesse à étudier tous les phénomènes naturels qui s’accomplissent sous leurs yeux.
Il faut bien que le travail incessant auquel est assujetti leur corps ne nuise
aucunement à l’activité de leur pensée, car, astronomie, météorologie, médecine, botanique, ou sciences occultes, tout est de leur ressort.
Ils vont même jusqu’à s’occuper de l’interprétation du chant des oiseaux et des cris des quadrupèdes.
Voici de quelle manière ils traduisent le langage de quelques-uns des animaux avec lesquels ils sont le plus habituellement en relation. (…)
Au mois de mai, lorsque la caille trouve difficilement à se garnir l’estomac, elle va répétant :
Caille ! caillé !
j’ai un sa (sac), j’ai pas de blé !
Au mois d’août, lorsqu’elle serait à même de faire des provisions, elle chante :
Caille ! cailla
J’ai du blé, j’ai pas d’sa !
D’aucuns, et ce sont d’ordinaire les prêteurs d’argent, affirment que la caille dit tout simplement :
Paie tes dettes !
Paie tes dettes !
Mais les mauvais payeurs ajoutent que le canard alors demande :
Quand ? quand ? quand ?
et que la brebis répond :
Jamais !
La caille, en chantant, répète plus ou moins de fois :
Caille ! cailla !
Or, on prétend que le nombre le plus élevé de ces répétitions indique, à l’avance, le nombre de francs que coûtera, par boisseau, le blé qui est sur terre. »

Les interprétations traditionnelles relevées par Laisnel de la salle ne semblent concerner qu’une région en particulier le Berry. On peut imaginer que chaque région, ou presque, avait son interprétation. Celle qui semble avoir été retenue le plus souvent en France est le fameux « Paye-tes-dettes ». En Angleterre il s’agit de « Wet-my-lips » (mouille mes lèvres) ou de « Wet-my-feet » (mouille mes pieds).

Objets divers et curiosités…

11 mars 2007 at 15 h 40 min

J’ai découvert au fil de mes recherches toute une série d’objets en rapport avec la caille des blés, ou sa chasse. Leur accumulation progressive à conduit à la création de cette rubrique, à mi chemin entre bric à brac et musée virtuel… Objets amusants, insolites, rares (certains d’entre eux sont exposés dans des musées, ou ont été mis aux enchères dans des salles de vente)…
On y trouve désormais de tout: sculptures, bas reliefs, vaisselle décorée, timbres, étiquettes de vin, panneaux indicateurs, carrelages…
Si jamais vous possédez certains objets en rapport avec ce thème, n’hésitez pas à m’envoyer des photos. Je me ferai un plaisir de les insérer!

Chansons traditionnelles

11 mars 2007 at 15 h 40 min

Voici une très jolie chanson populaire, intitulée « La caille ». Comme beaucoup de chansons anciennes, cette dernière à fait l’objet de multiples versions. J’ai consigné ci-dessous deux des versions qui me paraissait les plus abouties.

Ô caille, Ô ma caille, où est ton nid? (bis)
Où est ton nid, la belle, où est ton nid, où est ton nid?

Là bas dans la prairie, près du ruisseau (bis)
Près du ruisseau, la belle, près du ruisseau, près du ruisseau.

Ô caille, Ô ma caille, en quoi est-il? (bis)
En quoi est il, la belle, en quoi est-il, en quoi est-il?

En fines roses blanches, en aubépines (bis)
En aubépines, la belle, en aubépines, en aubépines.

Ô caille, Ô ma caille, qu’y a-t-il dedans? (bis)
Qu’y a-t-il dedans, la belle, qu’y a-t-il dedans, qu’y a-t-il dedans?

Des œufs comme les autres, mais bien luisants (bis)
Mais bien luisants, la belle, mais bien luisants, mais bien luisants.

Ô caille, Ô ma caille, comment sont ils? (bis)
Comment sont ils, la belle, comment sont ils, comment sont ils?

Blancs comme les nuages qui sont au ciel (bis)
Qui sont au ciel, la belle, qui sont au ciel, qui sont au ciel.

Ô caille, Ô ma caille, qui te nourrit? (bis)
Qui te nourrit, la belle, qui te nourrit, qui te nourrit ?

Trois jeunes demoiselles de mon pays (bis)
De mon pays, la belle, de mon pays, de mon pays.

Autre déclinaison de cette même chanson, avec sensiblement la même trame, mais une versification différente « Dis-moi, m’amour la caille »:

Dis-moi, m’amour la caille, où t’as ton nid ? (bis par le choeur)
Où t’as ton nid, m’amour, où t’as ton nid ?

Là-haut sur la montagne, le long d’un ru, (bis par le choeur)
Le long d’un ru, m’amour, le long d’un ru.

Dis-moi, m’amour la caille, de quoi bâti ? (bis par le choeur)
De quoi bâti , m’amour, de quoi bâti ?

De fleur de marjolaine, de romarin, (bis par le choeur)
De romarin, m’amour, de romarin.

Dis-moi, m’amour la caille, de quoi dedans ? (bis par le choeur)
De quoi dedans , m’amour, de quoi dedans ?

Trois oeufs comme les autres, mais plus jolis, (bis par le choeur)
Mais plus jolis, m’amour, mais plus jolis.

Dis-moi, m’amour la caille, sont-ils éclos ? (bis par le choeur)
Sont-ils éclos , m’amour, sont-ils éclos ?

Ecoute dans les bois leur gazouillis, (bis par le choeur)
Leur gazouillis, m’amour, leur gazouillis.

caille commune

Voici une autre chanson populaire, dont l’auteur est anonyme, intitulée « Au chant de l’alouette ». Malgré son titre, il y est question de caille. A noter qu’il existe plusieurs variantes du texte. j’ai choisi celle qui me paraissait être la plus ancienne.
Voici sous forme de vidéo une autre variante chantée par Suleyka, une chanteuse canadienne.

On m’envoie au champ s’est pour y cueillir (bis)
Je n’ai point cueilli, j’ai cherché des nids

Au champ de l’alouette
Je veille et je dors
J’écoute l’alouette
Et puis je m’endors

Je n’ai point cueilli, j’ai cherché des nids (bis)
J’ai trouvé la caille assise sur son nid

Au champ de l’alouette
Je veille et je dors
J’écoute l’alouette
Et puis je m’endors

J’ai trouvé la caille assise sur son nid (bis)
J’lui marché sur l’aile et la lui rompit

Au champ de l’alouette
Je veille et je dors
J’écoute l’alouette
Et puis je m’endors

J’lui marché sur l’aile et la lui rompit (bis)
Elle m’a dit : Pucelle retire-toi d’ici

Au champ de l’alouette
Je veille et je dors
J’écoute l’alouette
Et puis je m’endors

Elle m’a dit : Pucelle retire-toi d’ici (bis)
Je n’suis pas pucelle que j’lui répondis

Au champ de l’alouette  (ter)
Je veille et je dors
J’écoute l’alouette
Et puis je m’endors

boris riab etude de cailles

On retrouve la caille jusque dans certains chants scolaires. Le texte de cette chanson montre la dimension symbolique de l’oiseau dans les campagnes. Le chant des cailles scande le travail des paysans à l’époque des moissons, dont elle est en quelque sorte le symbole. Il faut en effet s’imaginer les oiseaux s’envolant par dizaines sous les pas des faucheurs.
Le texte de la chanson semble basé, comme souvent, sur le caractère répétitif du chant de la caille, et les différentes interprétations qui en sont faites dans les tradition populaires.

Dès l’aurore renaissante, dans ses accents joyeux,
la caille vigilante s’étire vers les cieux;
Ecoutez, elle dit:
Sors du lit, sors du lit, sors du lit, sors du lit!

La caille prévoyante appelle vers midi,
Dans la plaine brulante, le faucheur endormi:
Allons vite au travail, au travail, au travail, au travail, au travail!

Quand la brise légère se fait sentir le soir,
la caille messagère semble dire bonsoir,
en chantant elle dit:
Bonne nuit, bonne nuit, bonne nuit, bonne nuit!

chanson anonyme, Extraite du livret « Douze chants scolaires », Par A. Drouin, Editions Alphonse leduc (début 20eme siècle)

Voici un autre chanson populaire, dont le début au moins semble apparenté à une autre chanson traditionnelle bien connue (« au jardin de mon père »): Elle s’intitule « La Caille » (Chant populaire de Provence)

Au jardin de mon père, l’y a un pin (bis)
l’y a un pin, la dé rin, l’y a un pin

Tous les oiseaux qui chantent y font leur nid (bis)
y font leur nid, la dé r, et la perdrix

Hormis la belle caille et la perdrix (bis)
Et la perdrix, la dé ri, et la perdrix

Oh! Caille, oh! Belle caille Ou est ton nid (bis)
Ou est ton nid, la dé-ri, ou est ton nid?

Pas en haute montagne, dedans le pré (bis)
Ou est ton nid, la dé ré, dedans le pré.

Je prends mon arbalète et vais tirer (bis)
Et vais tirer, la dé ré, et vais tirer

J’ai tiré sur la caille je l’ai blessée (bis)
Je l’ai blessée, la dé ré, je l’ai blessée

O caille, pauvre caille, bien mal t’ai fait (bis)
Bien mal t’ai fait, la dé ré, bien mal t’ai fait

Si je pass’dans la ville on m pendra (bis)
On me pendra, la dé ra, on me pendra

Maurice Genevoix, "Bestiaire sans oubli"

11 mars 2007 at 15 h 39 min

Voici un extrait d’une nouvelle, « La caille », écrite par l’écrivain et membre de l’académie française, Maurice Genevoix (1890-1980) dans son livre « Bestiaire sans oubli » (publié en 1971):

Maurice Genevoix

« Ma première expérience du feu ne m’avait pas beaucoup mûri. C’eût été prématuré: j’avais douze ans, ou guère davantage. J’accompagnais «les chasseurs de Nevers», mon père, mon oncle, un vieil ami qui s’appelait Dargy et leur garde Philibert. Ils louaient, à trois, près de Châteauneuf, une petite chasse de plaine et de bois qui leur faisait de beaux dimanches. Nevers, c’était une ferme au pignon blanc que l’on reconnaissait de loin et qui donnait son nom au finage.
Je trottinais dans leurs foulées, fier au-delà de toute pudeur lorsque le poids d’un grand bouquin faisait peser à mon épaule la courroie de la gibecière. Une caille rappela, fut arrêtée par la chienne de Dargy. Alors presque septuagénaire, incroyablement résistant (il devait, deux ou trois ans plus tard, pédaler à mon côté de Châteauneuf à Joigny, une bonne centaine de kilomètres sur des vélos qui valaient moins qu’un clou), il était myope à ne pas voir le guidon de son fusil à broche.
– A vous, Dargy ! cria mon oncle.
Et mon père aussitôt
– Attention !
La caille s’était levée, de ce vol rasant qu’elles ont, à la hauteur d’une poitrine d’homme. Comme Dargy marchait à l’aile gauche elle avait, d’un crochet rapide, passé la ligne des fusils. Et elle filait maintenant, droit et raide, vers les arrières.
Dargy, à l’appel de mon oncle, s’était retourné brusquement, crosse à l’épaule, fauchant de son double canon. Vit-il la caille ? Entendit-il mon père ? Me vit-il ? Son coup de feu était parti. Je perçus, presque sous mon nez, un petit cliquetis de métal, sentis à l’épaule gauche une menue chiquenaude très sèche.
– Tu n’as rien ?
Les chasseurs accouraient vers moi, Dargy compris, le lorgnon sautillant au bout de son cordonnet. Je n’avais rien, qu’un grain de plomb qui roulait sous la peau. Quelques autres s’étaient aplatis sur le fer de ma bretelle gauche, solides bretelles de ce temps-là, larges d’une demi-paume, bardées de fers aussi robustes que des manoeuvres de marine. La petite caille était loin à présent, le bon Dargy l’avait ratée.
J’en ai gardé une tendresse pour ses soeurs, miniatures de perdrix plus rondes, plus chaudes, couveuses blotties dans un creux de glèbe à la mesure d’une main d’homme. Blondes d’une blondeur d’épis et grivelées de macules, du gris pâle au brun profond, qui les verrait au coeur du champ de blé, entre les hautes pailles balancées, sous leurs ombres aux bougeantes zébrures ? Mais il y a leur collier noir, et leur oeil plus noir encore que le soleil décèle et fait briller.
J’ai vu luire celui des perdrix, surprises la nuit au revers d’un sillon par la lanterne du braconnier. J’ai vu s’y refléter le papillon d’acétylène, une petite étincelle d’angoisse que leurs yeux renvoyaient aux miens, et qui venait me traverser de leur sauvagerie terrifiée. Mais comment dire, au-delà de cette peur, la prière et la douce confiance dont s’illumine ce petit oeil rond, cette goutte d’humeur vitrée enchâssée dans la tête d’une caille ? « Tu peux me livrer à ton chien, tu peux me tuer. Mais je vois que tu me regardes, et je sais que ce n’est plus possible. »
Au Maroc, au bord d’un oued, j’ai revu la caille de Nevers. C’était entre Fès et Larrache. Une eau fraîche coulait dans l’oued. L’herbe était verte sur ses rives. Des hérons pique-boeufs tournaient autour d’un vieil arbre, et s’y posaient, en floraison éblouissante. La caille rappelait, m’attirait vers elle. « Paye-tes-dettes ! Paye-tes-dettes ! » Mais lesquelles ? Je la vis, toute ronde, à mes pieds. En souvenir d’une ferme à pignon blanc, elle m’a conté alors l’histoire du Pâtre aux oiseaux blancs’. Je n’avais plus qu’à l’écouter, à écrire sous sa dictée : c’était payer une dette d’enfance.
Dans un léger bruit d’ailes, elle s’envola, du vol rasant que je lui connaissais, se blottit contre une motte fauve, reprit à petite voix sa chanson au soleil. Quelques dizaines de mètres, à peine soulevée de terre… Et elle avait traversé tant de lieues, se fiant à quels fleuves aériens, guidée par quel instinct merveilleux ? Je la retrouverais l’été, chantant son gentil margottage dans un champ de blé de chez nous, à Nevers, près de la ferme dont les avant-toits abritent les nids des hirondelles.
Migrations, éternels voyages, battements d’un pouls mystérieux qui rythme le décours des années ; chemins de l’eau hantés d’immenses troupeaux marins, remontée des saumons d’hiver, la vie allait, venait, suivait ses voies sur la terre ronde, elle-même par quelle giration emportée ? Des particules tournoyant dans l’atome aux caravaniers du mois d’août, du chant d’une caille à la musique des sphères, le rêve pouvait appareiller. Vers quels abîmes inaccessibles ? Les maîtres mots, les sais-tu, petite caille ? Mais les savent-ils mieux que toi, ceux qui scrutent et mesurent, l’oeil à leur microscope électronique ? Et qui s’approchera le plus près, de celui qui dissèque et raisonne, ou de celui qui saura le mieux lire les secrets de ta prunelle ronde, si ardemment et tendrement vivante, petite caille? »

Riab, groupe de cailles

Chanson paillarde: "La caille"

11 mars 2007 at 15 h 39 min

Voici une chanson paillarde traditionnelle: le sens retenu ici pour le mot caille est celui d’une jolie fille peu farouche…

La caille

1. Voilà ma journée fait’, tidéra
Faut m’aller promener;
En mon chemin rencontre
Une fille à mon gré (bis)

2. La pris par sa main blanch’, tidéra
Au bois je l’ai menée;
Quand ell’ fut dans le bois,
Ell’ s’est mise à pleurer (bis)

3. « Qu’avez-vous donc la bell’, tidéra
Qu’avez-vous à pleurer? »
« Je pleur’ que je suis jeune,
Et je suis en danger » (bis)

4. La pris par sa main blanch’, tidéra
Hors du bois l’ai menée,
Quand ell’ fut hors du bois
Ell’ s’est mise à chanter. (bis)

5. « Qu’avez-vous donc la bell’, tidéra
Qu’avez-vous à chanter? »
« Je chant’ le grand lourdeau
Qu’a pas su m’embrasser. » (bis)

6. « Retournons-y la bell’, tidéra
Au bois vous baiserai »
« Quand tu tenais la caille,
Il fallait la plumer! » (bis) »

On peut remarquer que cette chanson a été déclinée en de multiples versions: dans certaines d’entre elles, le mot caille à été remplacé par poule ou perdrix.

Quelques dictons …

11 mars 2007 at 15 h 38 min

Beaucoup de dictons concernent les animaux, et particulièrement les oiseaux migrateurs (coucou, hirondelle, etc) dont l’arrivée et le départ constituent des points de repères.
La caille de par son abondance était un oiseau  très familier. On peut les imaginer s’envolant par dizaines par les pieds des paysans en train de moissonner… Cet oiseau à fait l’objet de plusieurs dictons que j’ai rassemblés ici:

« A la saint Georges (23 avril), la caille dans l’orge »

« En avril tout oiseau fait son nid, sauf la caille et la perdrix. »

« Au quinze août, le coucou perd son chant ; c’est la caille qui le reprend. »

« A la Saint Barthélemy (24 août), la caille fait son cri. »

« Quand la caille chante, c’est signe de pluie » (dicton Wallon)

« Année de paille, année de caille »

« Plus la caille carcaille, plus chère est la semaille. »

« Caille carcaille: semailles ne vaillent »

Un dernier dicton est cette fois ci consacré à son tir:
« Haut la caille ou rien à faire; sous le ventre c’est la terre. »

gravure caille 19eme siècle

La caille à travers les expressions populaires

11 mars 2007 at 15 h 36 min

Quelques expressions populaires faisant référence à la caille:

« Chaud comme une caille »
Cette expression peut être prise dans deux sens:
-D’abord un sens littéral: plusieurs auteurs, dont Buffon, disent qu’il y a plus de chaleur dans le corps des cailles que dans celui d’autres oiseaux. Ce dernier ajoute même que les chinois s’en serviraient pour se réchauffer les mains. Dans le « Dictionnaire du bas-langage ou des Manières de parler usitées parmi le peuple » (1808), D’Hautel, relève que cette expression s’applique à « quelqu’un de brulant et de très agité ».
-Le second sens fait allusion à la vigueur sexuelle de la caille et dérive en partie du premier sens: la chaleur du corps de la caille est censée se transmettre au corps de celui ou celle qui la consomme et le pousser à l’acte sexuel.

Pour cette raison, la caille a une réputation aphrodisiaque, et est très prisée par les romains. Elle figure d’ailleurs au menu de tous les repas orgiaques.
Au moyen âge, le coeur de caille rentre fréquemment dans la fabrication de filtres d’amour. Plus tard au 16eme siècle, certains médecins conseillent aux époux de porter sur eux un coeur de caille afin d’entretenir la flamme conjugale. Le mari doit porter en permanence sur lui un coeur de caille mâle, tandis que la femme porte le coeur d’une femelle.
Cela permet aussi d’une façon générale de s’attirer l’amour de son entourage et de faciliter les conquêtes amoureuses. L’expression « Une caille coiffée » désignait une femme amoureuse, ou ardente en amour. D’Hautel les définit comme « des femmes sans pudeur, qui prennent des airs libres et dégagés ».

En Angleterre (mais aussi en France) le nom de l’oiseau à pris un sens plus radical: Il est devenu synonyme de prostituée ou de courtisane (en raison de l’attitude lascive prêtée à la caille).

Carte vivante du restaurateur (19eme siècle): un boeuf à la mode et une caille

Dans la gravure ci-dessus on peut voir une jeune et jolie femme (« la caille », personnifiée par l’artiste) assise à la table d’un restaurant, et ardemment courtisée par son voisin. La légèreté de moeurs de cette dernière, qui plus est dans un lieu public, laisse soupçonner qu’il s’agit d’une courtisane, ou tout du moins d’une femme entretenue.

On retrouve dans plusieurs villes européenes des « rues des cailles », dont le nom vient directement de leur fréquentation par des prostituées (Il peut également exister d’autres raisons, cf article toponymie). C’est sans doute à cause de cela qu’encore de nos jours, le terme de « caille » s’applique en argot à une jolie fille, peu farouche.

Les migrants européens qui se sont rendus aux états unis dans le courant du 19eme siècle ont emporté avec eux cette image, comme en témoigne le jeton ci-dessous. Ce dernier, datant de 1875, provient d’une maison de passe. On peut y voir une pièce de monnaie conventionnelle sur laquelle on a fixé au dos une représentation de caille.

Au Japon en revanche, la caille est un symbole d’amour et de fidélité.
Ce type de symbolique, assez paradoxale peut également se retrouver en Europe. Voici ci dessous le détail d’une fresque située au 1er étage des archives du Vatican à Rome (salle des patriarches). Il s’agit d’une personnification du mariage: la femme à les cheveux attachés, et le regard tourné vers le bas en signe de chasteté. Elle tient dans son tablier une caille symbole d’amour et de fidélité, l’oiseau même que dieu avait envoyé au peuple d’Israël afin de les nourrir alors qu’ils se trouvaient dans le désert.

« Gras, rond comme une caille »
La caille a une forme ronde, et a une propension naturelle à accumuler des réserves de graisse à la fin de l’été. Cela lui permet d’entreprendre son voyage retour vers l’Afrique. Ces réserves sont spectaculaires, et les cailles ont parfois beaucoup de mal à s’envoler. La caille est chassée à cette période précise (fin août / début septembre) et est particulièrement recherchée. La graisse accumulée exhale la finesse de sa chair, et en fait un met de choix. Sa rondeur est devenue au fil du temps proverbiale…

« Querelleur comme une caille »
Cette expression, aujourd’hui tombée en désuétude, fait référence directement à la nature querelleuse des mâles cailles des blés. Dès le Veme siècle avant JC, Aristophane écrivait à propos d’enfants en train de se disputer « Ils sont querelleurs comme des cailles tenues en cage ».
Il suffit bien souvent de mettre deux mâles en présence pour déclencher immédiatement un combat, qui peut aller jusqu’à la mort si l’on les sépare pas. Cette aptitude naturelle à souvent été détournée, et cela dès l’antiquité, pour organiser des combats publics.
A noter que ces pratiques, qui ont progressivement disparues en Europe, se sont poursuivies jusque dans les années 1950, et même au-delà, dans de nombreux pays asiatiques.
« Ma caille » (sens affectif)
l’expression « La caillette » désignait à l’origine une femme frivole et bavarde. D’Hautel relève qu’il peut même agir d’un « nom injurieux que l’on donne à une commère ou une méchante langue ».
Par extension (sens de frivole), cela pouvait également désigner une femme élégante, ou une femme ardente.

chocolat guérin boutron, la caille

Sur cette gravure éditée par les chocolats Guérin Boutron au début du 20eme siècle, on peut d’ailleurs voir l’oiseau personnifié sous la forme d’une jeune femme d’apparence frivole (chapeau et manteau élégant) et apparemment sensible au froid (malgré son manteau doublé de fourrure, cette dernière se tient devant la cheminée).
Ce terme (ex: « ma caille ») peut également avoir un sens affectif en langage familier, et désigner un enfant ou une jeune femme.
Aujourd’hui encore, une « caille » en argot populaire désigne une jolie fille, aux mœurs légères.

Sur la carte postale humoristique ci-dessous (Te parfumes tu pour déguster une caille sur canapé?) c’est ce sens qui à été retenu.

caille sur canapé

« Chasser la caille »
Il est intéressant de remarquer que le terme populaire de « caille », désignant une jolie fille peu farouche, donnera par extension l’expression « chasser la caille » (« Draguer » de jeunes filles), toujours utilisée de nos jours. Cette expression est déjà employée au 18eme siècle.

Gravure 18eme siècle, Elle est prise

Gravure de Debucourt (18eme siècle) »Elle est prise »

Sur la gravure ci-dessus, on peut observer le parallèle entre la servante, courtisée et séduite par un jeune galant, et une scène de chasse au filet située sur la gauche, ou l’on voit un oiseleur en train de capturer des cailles. L’auteur compare sans équivoque chasse et séduction, comme le montre le titre choisi: « Elle est prise ».
Cette expression devient monnaie courante à partir du 19eme siècle. comme le montrent de nombreuses gravures, cartes postales, mais aussi certaines chansons populaires ou paillardes de l’époque. C’est alors que nait l’image d’un chasseur épicurien, gai luron, qui profite de son loisir favori pour séduire de jeunes paysannes, servantes, rencontrées au détour d’un chemin.

Carte postale érotique de G Mouton, fin 19eme, début 20eme siècle « Moi je ne chasse que la caille! »

chasseur de caille

Chasseur de cailles « N’ayez pas peur mademoiselle,je ne suis pas un boche!… »

Ci-dessus, un dessin paru en couverture de la revue humoristique le sourire du 09/02/1907:
« -Dis donc, petite, ou peut-on trouver de la caille par ici?
-A la ferme, dans ma chambre, monsieur l’comte. »

Cette image du chasseur bon vivant n’est pas seulement l’apanage de la France, comme le montre cette gravure allemande de la première moitié du 19eme siècle. On peut y voir un bel exemple de « drague » champêtre. Elle est intitulée « Die Hühnerjagd » (littéralement « chasseur de poules »), mais sa traduction la plus fidèle en français serait sans aucun doutes « Chasseur de cailles ». On remarquera d’ailleurs au passage les cailles portées à la ceinture par le chasseur.

Cette carte postale humoristique éditée dans les années 1950/60 montre que l’expression à perduré tout au long du 20ème siècle, jusqu’à nos jours. Notre chasseur séducteur est encore à l’oeuvre, et ne perd pas de vue son « gibier ». La séduisante jeune fille, un brin aguicheuse, représentée aux côtés du chasseur illustre sans aucune équivoque le sens populaire de l’expression « jolie caille ».

Hector Giacomelli

11 mars 2007 at 15 h 35 min

Hector Giacomelli (1802-1904) est un aquarelliste, graveur et illustrateur français reconnu. Ce dernier a illustré des livres de jules Michelet, Alfred de Musset… Il est célèbre surtout pour ses dessins d’oiseaux.

Hector Giacomelli

Voici quelques exemples de son oeuvre, retrouvés dans plusieurs journaux du 19eme siècle.

Cette magnifique gravure en grand format représente une caille sur son nid, ainsi que plusieurs cailleteaux. Cette dernière illustre la couverture du journal « La semaine agricole », en date du 30/07/1882.

Le nid de caille, par M.Giacomelli

La gravure était accompagnée de l’article ci dessous, disponible en téléchargement:

la semaine agricole

Voici une magnifique gravure en grand format (35×52) qui démontre toute la maitrise de l’artiste. Elle est intitulée: « L’Automne- Le départ des cailles » et à été publiée en 1870 dans le journal « Le Monde Illustré », avec lequel Giacomelli à plusieurs fois collaboré.

le départ des cailles, hector giacomelli

Voici une autre très belle illustration destinée à encadrer un poême de André Theuriet « La caille », publié dans le journal « L’illustration », en date du 04/10/1879.

Poême de Andre Theuriet

Pluies de cailles

11 mars 2007 at 15 h 35 min

Les cailles sont capables d’effectuer des vols sur des distances importantes. Toutefois, comme la plupart des gallinacés, elles ne sont pas des spécialistes du vol.
Lorsque des vents contraires se lèvent, ou de violents orages, il peut arriver que des vols entiers de cailles s’abattent sur le sol. Les oiseaux sont alors dans un tel état d’épuisement qu’ils se laissent capturer à la main.

Un épisode fameux de la bible mentionne ce phénomène : alors que les hébreux traversent le désert, guidés par Moise, un grand vol de cailles s’abat sur leur camp et les sauve de la famine (Exode 16-13 et livre des Nombres 11-31). http://www.cailledesbles.fr/la_caille_dans_la_bible3031972/

Ce type de faits est encore assez fréquent vers la fin du 19eme siècle, et au début du 20eme siècle, et se produit parfois au dessus de grandes villes.
C’est le cas à Royan le 25 août 1913, ou après un très fort orage, une pluie de râles et de cailles s’est abattue sur la ville. Les promeneurs ramassaient les oiseaux épuisés jusque sur les terrasses des cafés.

Ce phénomène à été observé également à plusieurs reprises en Espagne, notamment sur les côtes de Huelva et Cadix (1883). Il s’est produit à Bilbao le 23/09/1906, à Madrid le 07/09/1907. Il à été observé pour la dernière fois à Santander le 25/09/1940, et semble coïncider avec une forte tempête.

Un texte de Karl DANT relate une pluie de cailles qui s’est abattue sur la ville de Berne en octobre 1907 :
« De toutes part on a signalé des passages très importants de cailles et d’étourneaux, dans la nuit du 9 au 10 octobre 1907. Survolant la ville de Berne par une pluie battante, ils avaient envahi les places publiques, les rues, le hall de la gare et les quartiers extérieurs. Un témoin oculaire rentrant du théâtre en avait trouvé au sol à chaque pas. Le guet de la cathédrale avait entendu leurs cris toute la nuit. Le gros de la troupe, qui pouvait bien compter 20 000 individus, avait survolé la ville entre 22h00 et 24h00. Le lendemain, on pouvait les ramasser à la corbeille dans les corridors et sous les bancs publics ; le toit du palais fédéral en était garni. Un commerçant en découvrit même deux vivantes dans sa corbeille à papier ! Pendant plusieurs jours encore on en trouva en pleine ville et ceci jusqu’au 17 octobre. »

Fait moins connu, ce type de phénomène se produit également aux abords des phares électriques possédant une grande intensité lumineuse. Dans un article datant de 1922, Pierre Salvat, inspecteur des eaux et forêt, raconte avoir constaté plusieurs fois que des vols de cailles s’était abattus en pleine forêt, non loin du phare de la Coubre, au nord de l’estuaire de la Gironde. Le calendrier lunaire ne semble jouer selon lui aucun rôle dans les passages de cailles, qui se font par vent debout.