Voici le courrier d’un lecteur du chasseur français publié dans la revue No 618 (Février 1948)et intitulé « Cailles empoisonneuses » (P.10).
Il relate le cas particulièrement curieux d’un empoisonnement après consommation de chair de cailles survenu au mois de septembre.
Ce genre d’incident survenait parfois en France lorsque les chasses de printemps étaient encore autorisées au début du siècle dernier. Il arrivait parfois que des oiseaux, fraichement arrivés d’Afrique du Nord, aient ingérés des graines de ciguës (La grande ciguë est très présente en Afrique du Nord, et ses graines fraiches sont souvent consommées par les cailles, sans que ces dernières paraissent en être incommodées). La consommation des oiseaux entraine alors paralysie, vomissements, etc, mais ne semble cependant pas mortelle…
Ce lecteur semble relater un cas beaucoup plus inhabituel, puisque les cailles incriminées ont été prélevées et consommées au mois de septembre.
« Pour faire suite à l’article de M. Bonnet, paru sous ce titre dans Le Chasseur Français de juin-juillet 1947, voulez-vous me permettre de vous conter une mésaventure qui m’est arrivée récemment ?
D’une famille de grands chasseurs, j’ai soixante-huit ans et je chasse depuis l’âge de seize, c’est-à-dire que j’ai tué en ma vie un grand nombre de cailles et que j’en ai mangé et vu manger autour de moi un nombre très élevé : jamais aucun accident ne s’était produit.
Or, cette année, les perdreaux étant très rares en Creuse et à peu près inabordables, je me suis rabattu sur les cailles, assez nombreuses.
Le dimanche 14 septembre, j’en ai tué cinq dans un champ de pommes de terre attenant à un champ de sarrasin. Mangées le mardi 16 (la caille, dit-on, doit être mangée sous le fusil), elles furent déclarées excellentes et ne causèrent aucun trouble.
Le jeudi 18, je tuai à nouveau quatre cailles, l’une dans le champ précédent, les trois autres dans une jachère d’herbes sèches, éloignée de toute récolte sur pied. Les cailles furent préparées le samedi suivant au déjeuner de midi et reconnues exquises au goût.
À 6 heures du soir, je me promenais dans mon jardin attenant à mon habitation, lorsque, sans avoir ressenti aucun malaise préalable, les jambes se dérobèrent sous moi et je tombai à terre, éprouvant tout à coup des douleurs d’une grande violence dans les reins, les jambes et les bras. Transporté immédiatement dans mon lit, je fus atteint, en quelques instants, d’une paralysie presque totale, avec raideur absolue de la nuque, sueurs froides, corps glacé, extinction de la voix, mal de gorge et oppression. Le médecin vint aussitôt et constata, en plus des symptômes ci-dessus, deux points de congestion au bas des poumons avec râles. Pas de température, 37° seulement.
Le docteur me prescrivit certains médicaments, promettant de revenir à minuit ; quelques instants après son départ, ma femme, qui me soignait, était prise à son tour des mêmes symptômes, quoique moins violents. Ce fut alors que votre article me revint en mémoire et que j’imputai notre état à l’absorption des cailles. Quand, à minuit, le docteur nous fit une nouvelle visite, il confirma entièrement mon jugement, notre état présentant toutes les caractéristiques d’un empoisonnement par la ciguë.
Les douleurs violentes durèrent toute la nuit et une partie de la matinée, puis allèrent en s’apaisant pour disparaître à peu près complètement le soir, nous laissant seulement une courbature.
Le docteur, m’ayant ausculté à nouveau dans la matinée, ne trouvait plus aucune trace de congestion.
J’ai tenu à vous narrer cette histoire. Les cailles empoisonneuses sont trop peu connues des chasseurs, et il serait peut-être bon de mettre en garde contre un danger sinon mortel, du moins bien pénible et bien douloureux.
Ma femme a été moins atteinte que moi, car, à mon avis, elle n’avait dû manger qu’une caille nocive, l’autre ayant été tuée ailleurs.
Il résulte de mon aventure que la caille verte n’est pas seule en cause, puisque notre empoisonnement s’est produit en septembre, je crois qu’il faut imputer la nocivité des cailles empoisonneuses à l’état du terrain. Dans tous les cas, je sais gré à M. Bonnet de son article, qui a permis de diagnostiquer notre maladie dans le plus court délai.
H. BROQUIN,
abonné, Chenerailles (Creuse).
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