Manqué!
Voici une jolie anecdote de chasse publiée en décembre 1955 par de Dr Bussilet dans la revue « Au bord de l’eau, Plaine et bois »:
« Tous les ans, mon père quittait sa résidence au mois de septembre-octobre et se rendait dans son pays d’origine, dans le Jura, où avait lieu, d’habitude, un bon passage de cailles.
L’année dont je parle et dont je serais bien incapable de désigner la date exacte, il avait emmené mon frère aîné, auquel il venait de remettre son premier permis et qui, pour suivre la stricte vérité, ne se montrait pas plus adroit que notre maître.
-Rien de plus facile que le tir à la caille, lui affirma cependant mon père; c’est un oiseau qui vole droit devant lui, sans détours. Tu pourras le viser aussi longtemps que tu voudras. En plus, avec Pyram, nous en lèverons plus que nous n’en aurons envie.
Et ainsi, en effet, arriva t’il.
Soit dans un champ de pommes de terre, soit dans les luzernes ou dans les buissons, le brave Pyram se mettait à s’immobiliser et arrêtait, puis la caille partait.
Et pan…pan…, une fois…Pan…pan…, une seconde fois. Pan…pan, une troisième, et ainsi de suite!
Un berger qui se trouvait dans ces parages, entendant tous ces coups de fusil, rappliqua à son tour avec l’idée de juger des coups.
Pan…pan…, continuérent le père et le fils.
Pan…pan…pan…
Pan…pan…pan…pan…Et alors ce petit berger insolent qui, au début, avait gardé son sérieux, partit, tout à coup, d’un rire irrésistible.
Pan…pan…
Manquo! s’écriait il.
Pan…pan…pan…
Encore Manquo!
Pan..pan…pan…pan!
Toujours manquo!
Si bien que le père et le fils avaient passablement honte, il faut le dire, et qu’en outre ils arrivaient au bout de leurs cartouches, bien qu’ils en eussent emporté plus de soixante!
Mais la conclusion eut lieu d’une façon imprévue.
Pyram avait il honte, lui aussi? Tenait il à ménager l’honneur de la famille? Se souvenait il simplement de son ancien maître, le braco, et était il écoeuré de la maladresse de ses nouveaux seigneurs?
Tout à coup, dans un champ de trèfle où il avait commencé à « reconnaître », il se livra à un acte qu’on ne lui avait jamais vu accomplir et qui, je crois pouvoir l’affirmer, ne se reproduisit jamais: il rompit donc ouvertement l’arrêt, sauta sur la bête qui se tenait devant lui, presque sous son nez, et l’ayant prise délicatement dans sa gueule, la rapporta malicieusement à ses maîtres.
Ceux-ci n’eurent qu’à mêler leurs rires à ceux du berger et à rentrer chez eux. C’est par dizaines de fois, que par la suite, j’ai entendu mon père raconter cette histoire. »
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