Fable: "La caille et la perdrix"
Voici un texte extrait des « Fables » (publié en 1777) de Jean Jacques François Marin Boisard (1744-1833), fabuliste français.
Il s’agit d’une jolie fable ayant pour thème les discussions d’une caille et d’une perdrix. La caille essaie de convaincre cette dernière que le seul moyen d’ échapper aux terribles dangers qui l’attendent si elle reste est de migrer avec elle vers d’autres pays.
La caille et la perdrix
La terre avait perdu les riches ornements
Dont la blonde Cérès avait paré les champs.
Forcés d’abandonner leurs champêtres asiles,
Les perdreaux dispersés se croisaient dans les airs ;
Mille et mille ennemis divers
Poursuivaient à l’envie les pauvres volatiles.
Mère perdrix dans ce revers
Se promenait toute éplorée,
Appelant par ses cris sa famille égarée :
Abandonnez ces lieux à leurs maître pervers,
Dit une jeune caille, et par delà les mers,
Venez ainsi que nous chercher une patrie,
Où nous puissions du moins conserver notre vie.
L’esclavage et la mort dans ces champs dévastés,
Nous poursuivent de tous côtés…
Entendez vous gronder le tonnerre de l’homme,
Qui retentit sur les coteaux !…
Et son lâche ministre, instrument de nos maux,
Le chien, le voyez vous qui rampe sur le chaume !…
De notre seul refuge on a su nous priver !
Des griffes de l’autour qui pourra nous sauver ?
Hélas ! quand nous pourrions échapper à la force,
Qui nous garantira d’une perfide amorce ;
Et comment nous soustraire à ces lâches filets
Dont nous couvrent la nuit nos ennemis secrets ?…
Croyez moi, ma voisine, imitons l’hirondelle,
Elle vient de quitter ce solide palais
Qu’elle avait sur le roc construit à si grand frais,
Et pour bâtir au loin fend l’air à tire d’aile.
Le Rossignol, jadis la gloire de nos champs,
Dont les humains jaloux admiraient les accents,
Fut lui-même forcé par leur ingratitude
D’abandonner sa solitude :
Et nous, vil peuple hélas!sans faire aucun effort,
Sur ce chaume rasé nous attendrons la mort !…
Quel climat n’a jamais habité la misère,
Reprit la tendre casanière ?
Croyez que dans tous les pays
On trouve des autours ou l’on voit des perdrix ;
La trahison, la force ont par toute la terre,
Sans doute, à la faiblesse par tous temps fait la guerre.
Vous ne connaissez pas encore tous nos maux ;
Je prévois de plus grand fléaux.
Nous avions jusqu’alors au moins la subsistance ;
Les trésors de Cérès des avides humains
Remplissent désormais les vastes magasins ;
Avec l’hiver hélas ! la famine s’avance !
J’ai déjà vu ces jours d’horreur,
Dont l’automne est l’avant coureur !…
De neige et de glaçons la terre était couverte ;
La nature fermant son sein,
Refusait aux oiseaux jusqu’au moindre grain ;
Les éléments semblaient conspirer notre perte…
Par bonheur, à l’hiver succéda le printemps ;
Je vis bientôt renaître (et même dans des champs
Stériles jusqu’alors) des moissons abondantes :
Je vis croître en tous lieux des forêts verdoyantes,
Dont le soleil d’été, propice à nos souhaits,
Jaunissait par degrés les fertiles sommets ;
Le chaume nous donna le couvert et le vivre ;
La chaleur sous nos toits n’osa plus nous poursuivre ;
Et le bonheur revint habiter les guérets.
On oublia bientôt la peine et la tristesse,
Pour se livrer à la tendresse.
Je fus mère dix fois (je dois m’en souvenir)
Dans ces champs dont en vain vous voulez me bannir.
Quel qu’en soit le danger, quelques maux que j’endure,
Je ne puis les quitter sans que mon cœur murmure.
J’ose encore me flatter que de nouveaux zéphyrs
Ramèneront la paix l’amour et les plaisirs ;
Et tant que j’en aurais l’espérance chérie,
Rien ne peut m’arracher au sein de ma patrie.
Jean Jacques François Marin Boisard, « Fables » (1777)
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